jeudi 13 août 2015

De la Jambe de Bois à l'agent Bedebois

La Jambe de Bois... On en trouve la trace dans de nombreux journaux estudiantins. Elle est restée dans les mémoires vieux Poils comme le théâtre de cuites monstres et de solides bagarres entre Truands et Macchas.

Un zoom s'impose

Le cabaret de La Jambe de Bois - qui dût son nom à Jean-Joseph Charlier dit la Jambe de Bois, le célèbre canonnier de la révolution belge de 1830 - a été un haut lieu de la guindaille. L'ensemble était une sorte de salon d'art estudiantin : des peintures étaient barbouillées aux murs tandis que des chasses d'eau et tout une collection d'"opossums" pendaient du plafond.

Enracinée au 16 rue de Soignies, où elle a vu le jour après la première guerre mondiale, la Jambe de Bois est tombée sous les pioches au cours des années 1950.

Publicité du Bruxelles Universitaire du 26 octobre 1945.

François Samin a consacré un article synthétique à "La vraie Jambe de Bois" dans la Revue du Cercle d'Histoire de Bruxelles et extensions (n°117, septembre 2012, www.cehibrux.be).

Collection de François Samin.

Il y relève la chronique "Air de chez nous" signée en 1968 par Pierre Novelier. "Le 16 rue de Soignies : C'était une masure de deux étages, chaque étage n'ayant qu'une seule pièce. Au rez-de-chaussée, une salle basse pourvue de deux fenêtres étroites, était meublée d'un vieux comptoir, de tables bralantes et de bancs encore plus vétustes, accolés aux murs.
Sur le comptoir se voyaient une pompe à bière, un tonneau complètement recouvert  de sous troués et cloués et un tourne-disque.
Le vieux poêle donnait plus de fumée que de chaleur. La chose la plus remarquable était une porte vitrée sur le carreau de laquelle se trouvait gravée une image de Charlie-la-Jambe-de-Bois. La vitre est malheureusement brisée un soir de grand chahut. Un escalier raide et obscur conduisait aux chambres réservée aux clients fidèles, nombreux surtout le samedi.
Les murs étaient couverts de fresques peintes par des jeunes artistes dont plusieurs se feront un nom par la suite. Parmi les fresques se cachent des vers estudiantins :Nos moments les plus doux
Ont pourtant leur tristesse.
M'étant grattant la fesse,

J'y vis passer des clous.
Les fresques des étages n'étaient pas à montrer à tout le monde.
Le reste de la décoration était constitué de "trophées", des centaines de poignées et de chaînettes de chasse de W.C. pendues au plafond, des plaques émaillées, des lanternes dérobées dans les chantiers des trams."
(François Samin, "La vraie Jambe de Bois", op.cit.).


En 1938, la présence des étudiants de cet estaminet s'explique par l'atmosphère de vieux cavitje et de boîte montmartroise. Mais aussi par les amitiés, que Dauphin - le jeune patron -, candidat notaire et éternel étudiant, a gardées dans les milieux universitaires. (François Samin, "La vraie Jambe de Bois", op.cit.).

La Seconde Jambe de Bois

Un texte publicitaire, daté de 1952, annonce le changement de locaux : "La Jambe de Bois devant quitter ses vieux murs (rue de Soignies) livrés à la pioche des démolisseurs, un garçon déniche au 5, Impasse de la Barbe - place Fontainas -, des caves auxquelles ils accrochent la même enseigne." (François Samin, "La vraie Jambe de Bois", op.cit.).

L'impasse de la Barbe longeait le flanc droit de la Maison des Huit Heures, place Fontainas.


Autrefois, ces caves voûtées dépendaient d'une importante ferme-brasserie, nous dit François Samin dans la Revue du Cercle d'Histoire de Bruxelles. "Le linteau de la porte d'entrée des caves portait le millésime 1560. Morcelée au cours du temps, la cave de gauche va servir de cave à gueuze, lambic, faro pour la brasserie Van Malder. La cave de droite, acquise par Jef Marchand (baes du "Vieux Saint-Pierre") lui servira d'entrepôt des bières. Transformées en caves à champignons, elles finissent en apothéose, ce sera la "Jambe de Bois", seconde du nom". (François Samin, "La vraie Jambe de Bois", op.cit.).

Collection du Cercle d'Histoire de Bruxelles

Affiche imprimée à l'occasion de la ré-ouverture du cabaret.
Document transmis par Bram Desmet.

En 1961, le site est à son tour rasé pour faire place à un parking.

Le patron fait alors frappé une médaille estudiantine, en forme de bière tombale. "Ci-gît la Jambe de Bois" y est-il écrit. C'était évidemment de saison. Mais l'inscription est peut-être aussi un clin d'œil aux épitaphes que Dauphin (le patron de 1938) et son successeur Roger Lefebvre (réputé frère Macchabée) avaient peintes sur les murs de la première Jambe de Bois.

L'un avait écrit : "Ci-gît gai sire Dauphin,
Qui oncques notaire fut ;
Resta longtemps clerc en faim,
Pour devenir chantre en fût !"

Tandis que l'autre avait signé : "Roger Lefebvre ici repose,
Il ne fit jamais autre chose.
Ce fut un homme sage,

Qui jamais à aucun âge,
Du travail se fit un épouvantail."

Collection privée.

La lettre de faire-part du décès annonce que le service funéraire aura lieu le 28 juillet 1961. Mais que "la Tradition continue, car tel le Phénix, la Jambe de Vois ressuscitera de ses cendres 47, rue Van Helmont."



La cave avant sa démolition. Collection du Cercle d'Histoire de Bruxelles.

"Atmosphère, atmosphère..."

Les photos qui suivent, transmises par le Camarade Bram Desmet, ont naturalisé les Poils du Cercle des Sciences dans leur biotope, au cours des années 1950. Elles permettent de se faire une idée de l'atmosphère qui régnait à cette époque à Jambe de Bois. On y buvait (et pas que de la Spa bleue), on y rejouait les "Quatre-Vingts Chasseurs", on y baptisait même.

Sur ces clichés, on ne distingue malheureusement que quelques-unes peintures rupestres qui égayaient l'estaminet. L'agent Bedebois y côtoie une amazone à califourchon sur un canasson tandis qu'un Poil en casquette figure non loin d'un graffiti indiquant qu'un certain Rouche est "plein".

On reconnaît dans le décor, l'agent bruxellois avec son casque blanc.

 



 
 

 
 


Où on apprend que Rouche est bleu.
Et que des amazones chevauchaient à La Jambe.
 
Le cadre idyllique ne doit pas faire perdre de vue que les sorties étaient parfois rock and roll. Le vénérable Poil Xavier Hubaut nous livre son témoignage : "Vers 1953-57 "La Jambe de Bois" était situé à l'impasse de la Barbe, place Fontainas. Le fait d'être situé dans une impasse était assez dangereux. A l'époque, les étudiants étaient souvent agressés par d'autres jeunes qualifiés de "Marolliens". Ces derniers volaient les pennes et ne les rendaient généralement pas, même contre rançon ! Les soirs de Saint V, il y avait des bandes de Marolliens sur la place Fontainas. Ils surveillaient l'entrée ou plutôt la sortie de l'impasse et se précipitaient sur les courageux qui avaient choisis de quitter la Jambe de Bois en trop petit groupe. A part cela, cette cave abritait un piano et un pianiste l'animait en soirée. Parfois on voyait une chanteuse, pratiquement inconnue à l'époque, venir interpréter de très jolies chansons. Par la suite, elle est devenue célèbre sous le pseudonyme de Barbara..."