samedi 26 avril 2014

De l'AG au Groupe G

Le 25 novembre 1941, le Bureau de l’Association générale des étudiants (AG) - fédérant les Cercles facultaires - apprend que les autorités allemandes ont nommé des professeurs à l’ULB et que le Conseil d’administration de l’Université s’y oppose et ordonne la suspension des cours.

Le jour-même, le Comité de l’AG ­- jugeant que les décisions allemandes « s’avèrent suspectes en ce sens qu’elles peuvent posséder d’autres motifs que l’intérêt de la science » - vote une résolution dans laquelle il approuve pleinement l’attitude de l’Université et « décide que les étudiants s’abstiendront de suivre les cours jusqu’à nouvel ordre, même si ceux-ci venaient à reprendre sous l’effet d’une contrainte émanant d’une autorité étrangère à l’Université. »

Le 26 novembre, les autorités d’occupation suspendent le Conseil d’administration de ses fonctions et exige la reprises des cours. Afin de riposter aux avis du Commissaire allemand, le Comité de l’AG confirme l’ordre de grève des auditoires - qui sera suivi - et précise : « Nous affirmerons notre volonté de défendre jusqu’au bout les principes, les doctrines et le patrimoine intellectuel de l’Université Libre de Bruxelles. […] Les événements nous verront unis et résolus. Ils réaliseront la solidarité totale de notre corps universitaire qui répond NON ! à ceux qui voulaient nous soumettre. »

Fidèle à sa parole, l’Association générale organise dès le 30 novembre des permanences et conseille aux 2700 étudiants de s’y adresser pour recevoir des instructions et se maintenir en contact avec leurs camarades. Puis, début décembre, l’AG souligne par lettre circulaire qu’il est urgent d’organiser l’activité scientifique des étudiants « jusqu’au moment où l’apaisement du conflit leur permettrait de se présenter aux examens. » Le Comité demande donc aux étudiants de former « des groupes d’étude dont un responsable se mettra en contact avec les délégués des offices des cours ». L’AG annonce également qu’elle va « organiser, dans chaque Cercle facultaire, des séminaires d’étude. »

A ce moment, l’AG prend des précautions. Le président de l’AG, Jean Mardulyn, convoque certains étudiants impliqués dans la Résistance. Sous le nom de « Rassemblement estudiantin » est ainsi créée une organisation illégale destinée à doubler l’AG si celle-ci était interdite ou si ses dirigeants étaient arrêtés.


Le 9 décembre 1941, l’Administration militaire « ordonne » la fermeture de l’ULB et transfère toutes les attributions du Conseil d’Administration au Commissaire allemand en charge l’Université.

Des sanctions sont prises contre les membres du Conseil d’Administration de l’Université et les membres du Comité de l’AG. Cinq membres de l’AG, dont le président, sont incarcérés temporairement à la prison de Saint-Gilles ou à la citadelle de Huy.

A partir de cette date, l’AG, l’Union des Anciens Etudiants et le Corps professoral vont créer une Université dans la clandestinité avec l’aide de la Ville de Bruxelles. Par la suite, nombre d’étudiants poursuivent leurs études à Liège ou Louvain.

Le Groupe G

Par son action, l’Association générale a participé à la diffusion d’un état d’esprit et de pratiques propres à la Résistance.

De nombreux dirigeants de Cercles étudiants qui ont vécu côte à côte les années politiquement tendues de la guerre d’Espagne (1936-1939) à l’Occupation s’engagent d’ailleurs dans le combat antinazi, avec les Etudiants socialistes unifiés (1), dans les Partisans armés (2) (proches du Parti communiste belge) ou dans le Service de sabotage Hotton (fondé en 1940 par treize ULBistes, dont plusieurs membres des Etudiants Wallons). Beaucoup le paieront de leur vie.

D’autres se rendent en Angleterre pour se mettre à la disposition du gouvernement en exil.

En 1942, le Groupe G - l’un des réseaux de Résistance les plus performants - se forme autour de Jean Burgers, de Richard Altenhoff et de Robert Leclercq (trois Anciens du Cercle du Libre Examen) ainsi que d’Henri Neuman (ancien président du Cercle de Droit). Parmi la trentaine d’ULBistes qui les rejoignent bientôt, figurent des signataires de la résolution de l’AG du 25 novembre 1941, dont Jean Mardulyn et Richard Lipper (Bureau de l’AG) et René Ewalenko (président du Cercle Solvay). Citons également André Wendelen (ex-président du Cercle de Droit) et Christian Lepoivre (ex-président du Librex), parachutés de Londres. (3)

Jean Burgers, exécuté par pendaison à Buchenwald en septembre 1944, à 27 ans.

Né au sein de notre Alma Mater, le Groupe G rassemble plus de 3000 hommes et femmes, au-delà des barrières politiques et religieuses. Leur but : freiner et si possible détruire l’apport économique et industriel que la Belgique est contrainte de fournir à l’Occupant, en sabotant les moyens de communication (chemin de fer, voies navigables et routes) ainsi que le transport d’énergie électrique.

Pour mener à bien son objectif, le Groupe s’est structuré sur le modèle souple d’une entreprise : le pays est organisé en dix régions, subdivisées en secteurs et cellules. L’Etat-major national centralise les informations (à Bruxelles) et décide des actions mais chaque région et cellule dispose d’une autonomie de décision dans le cadre de directives d’ensemble. C’est l’Etat-major qui se charge de l’approvisionnement financier et matériel (notamment en armes) des différentes sections, avec principalement l’aide de Londres.

Afin de concilier les nécessités d’une action collective et d’une discipline librement consentie avec une conception démocratique de l’organisation, les dirigeants du Groupe, Jean Burgers (arrêté en mars 1944) et Robert Leclercq, choisissent de dialoguer et donc de se déplacer pour régler les conflits internes et les questions de fond.

Si les sabotages sont préparés de manière théorique, les conséquences de chaque action menée sont en effet pesées et débattues. D’une part, le Groupe G tient compte d’éventuelles représailles allemandes sur la population et veille à ce que l’endommagement d’un outil de production n’entraîne pas la déportation d’ouvriers belges vers des usines allemandes. D’autre part, le Groupe s’attache à « ne détruire ou ne paralyser définitivement qu’un minimum d’équipement durable, de manière à restaurer rapidement la capacité productive de la nation et le plein emploi de ses travailleurs, une fois le pays libéré. »

Le succès de ses actions, le Groupe le doit à l’apport des scientifiques et des civils. Des professeurs de l’ULB - comme Jean Lameere - et des assistants déterminent non seulement avec précision la manière la plus efficace et la moins onéreuse de détruire des écluses, des aiguillages de chemin de fer ou des pylônes électriques mais mettent aussi au point les explosifs et les détonateurs. Les industriels, les cheminots, les éclusiers - comme tant d’autres citoyens ordinaires qui constituent la base du Groupe - fournissent des renseignements techniques précieux.

Un des célèbres faits d’armes du « G » est la « Grande coupure ». Le soir du 15 janvier 1944, entre 20 et 23 heures, de La Louvière à Courtrai, 28 pylônes essentiels et difficiles à réparer sont abattus à l’explosif. Cela paralyse les usines d’armement de la Rhur, qui s’approvisionnent en énergie en Belgique. L’Allemagne perd ainsi plusieurs milliers d’heures de travail, ce qui représente plusieurs centaines d’avions, de chars et de sous-marins qui n’affronteront jamais les Alliés. C’est probablement le plus bel exemple d’une action scientifiquement étudiée et coordonnée au niveau national par le Groupe G.

[Olivier Hertmans et Micheline Mardulyn]
in Théodore, magazine trimestriel de l'Union des Anciens Etudiants,
n°20, janvier-février- mars 2014.


(1) Les ESU (dirigés par Jacques Leten, président du Cercle de Droit) entreprennent entre autres des actions de guérilla urbaine.
(2) C’est le Partisan Armé. Jean Coppens qui exécutera Louis Fonsny, ancien dirigeant du Cercle du Libre Examen devenu journaliste pour « Le Soir » contrôlé par l’Occupant.
(3) Richard Lipper est fusillé au Tir National le 17 février 1944. Richard Altenhoff, dénoncé par un agent double, est fusillé au Tir National le 30 mars 1944.
 
Monument de l'ULB érigé en 1996 "en hommage  aux résistants du Groupe G
et à tous ceux qui, au-delà des barrières idéologiques,
se sont levés contre la négation de l'Homme

et le silence imposé à la pensée humaine."
 
Bibliographie :
* Bruxelles Universitaire du 7 octobre 1948.
* Andrée Despy-Meyer, Alain Dirkens et Franck Scheelings, « 25.11.1941, L’Université libre de Bruxelles ferme ses portes », Archives de l’ULB, 1991.
* Daphné Desmedt et Pol-Henry Verdonck, « Résistance à l’ULB »,
feuillet publié par le Cercle du Libre Examen.
* Henri Neuman, « Avant qu’il ne soit trop tard. Portraits de résistants », éd. Duculot, 1985.