dimanche 27 mai 2012

Héritage des sociétés étudiantes dites germaniques

Les étudiants belges connaissaient relativement bien le fonctionnement des sociétés estudiantines allemandes et suisses. En 1891, l’"Almanach des étudiants libéraux de l’Université de Gand" brosse ainsi un tableau assez complet des corporations allemandes et de leurs principaux rites. Et en 1896, le même "Almanach" interroge différentes sections des sociétés suisses de Zofingue et de Belles-Lettres et publie leurs réponses qui comportent un état des lieux de ces sociétés ainsi qu’une description de leurs casquettes et sautoirs.


Carte de la Société de Belles-Lettres
envoyée  de Lausanne le 6 juin 1906,
à l'occasion des fêtes du centenaire de la Société.

A gauche, un Belletrien porteur du cerevis et du sautoir.
A droite, un autre membre porteur de la casquette et du sautoir.

Si la majorité des sociétés d'étudiants suisses reprirent les règles du Comment, la casquette à visière courte, les rubans portés en sautoir et les uniformes de leurs homologues germaniques, il en a été autrement pour les étudiants belges. 

Le Comment

On ne sait pas exactement quand le Comment et les Kneipen furent introduits en Belgique. Mais, d’après un document unique (un article de l'époque en notre possession), il est possible que ce code étudiant et ces assemblées aient été pratiqués très tôt à l’Université de Bruxelles par la "Société des Crocodiles", un cercle fondé en 1853.

En revanche, on peut affirmer avec certitude que l’usage du Comment fut introduit à l’Université de Louvain par l’"Helvetia Lovaniensis", une société d’étudiants catholiques suisses organisée sur le modèle des sociétés estudiantines germaniques. Cette société, fondée en 1872, disparut en 1875.

La "Tungria Lovaniensis", basée sur le même modèle, apparut peu après, en 1877. La Tungria a très probablement été fondée par des étudiants ayant déjà appartenu à des corporations. Elle rassemblait des Allemands, des Autrichiens, des Suisses, des Belges et des Luxembourgeois, tous germanophones. Elle disparut elle aussi rapidement, en 1879. Son activité fut néanmoins prolongée, dès 1880, par la société "D’Letzebuerger", qui regroupait des étudiants luxembourgeois ; celle-ci tint des Kneipen selon les rites du Comment bien après la Seconde guerre mondiale. (www.louvain.lu, site consulté le 17 octobre 2008.)

Der gutte Kamerad : le bon camarade.
Dessin extrait du Bierzeitung du cercle D'Letzeburger, vers 1880.

Au-dessus, un membre, porteur du cerevis et du ruban,

tient une chope d'une main et sa pipe de l'autre.
En dessous, scènes de Kneipen


Sur les cendres des deux premières fraternités suisse et allemande, une nouvelle société fut créée à l’Université de Louvain en 1896. Elle prit le nom de "Lovania". Elle doit sa naissance à des étudiants qui avaient assisté à une conférence sur la vie estudiantine en Allemagne, donnée par le professeur Armand Thiéry (lui-même membre de la "Bavaria Bonn"). La préface du "Chansonnier des étudiants belges", édité en 1901 par le "Studentverbindung Lovania" annonce clairement la filiation de cette société, fondée "suivant les us et coutumes des fameuses Corporations estudiantines d’Outre-Rhin".

Pendant la Première guerre mondiale, la Lovania perdit de nombreux membres tués sous les uniformes belge et allemand et elle fut mise en sommeil. En 1927, l'étudiant louvaniste Edmond de Goeyse essaya sans succès de relancer ses activités. Néanmoins, c'est principalement sous l'influence de ce même de Goeyse qu'un Clubcodex, version flamande du Comment, se répandra en Belgique à partir de 1929.

Ce Codex se diffusera d'abord dans les universités du Nord du pays dans la première moitié du 20ème siècle puis dans les autres universités dans la seconde moitié.

La casquette et le ruban

Lorsqu’elle apparaît à l’ULB vers 1850 et vers 1860 à l’Université de Liège, la casquette des sociétés estudiantines belges, appelée aujourd'hui "penne", dispose également d’une visière courte et sa forme rappelle celle de la coiffe estudiantine allemande. ("Philo fête ses 10 ans : l’Expo !", Catalogue d'exposition, Liège, 1997, pp. 12 et 13).

Progressivement, la visière s’est allongée pour atteindre ses dimensions actuelles au cours des années 1970. Aujourd’hui, ce sont principalement les Ordres de l’ULB qui portent encore la visière courte, héritage des sociétés dites germaniques.

Il semble que les rubans portés en sautoir aient été introduits en Belgique par les sociétés de type "germanique", à Louvain à la fin du 19ème siècle puis dans les universités aujourd'hui néerlandophones au début du XXe siècle.


A l'ULB, les rubans étaient portés par les membres des comités de Cercle vers 1900 ; il semble qu'ils aient disparu de l'Université après la Première Guerre mondiale avant d'y être réintroduits discrètement dans les années 1960 par les premières Corporations puis publiquement dans les années 1980 par les  premières Guildes. Ce qui est cohérent : les Corporations et les Guildes fonctionnant sur le modèle du Comment.

La tenue d'apparat


La tenue d'apparat des étudiants allemands a également été portée en Belgique, quoique brièvement. Eugène Polain, bibliothécaire de l’Université de Liège, nous livre un témoignage intéressant sur l’habillement des étudiants liégeois : "Leur costume, le jour de sortie, écrit-il, était très curieux. C'est surtout en 1869, lors de la célébration du 50e de  l'université que je m'en rappelle : ils avaient quelque peu copié le costume des Allemands, et portaient le pantalon blanc, une veste assez courte et fort étriquée. Ils avaient comme coiffure une petite casquette étroite avec une visière en toile cirée." (Jean-Denys Boussart, Petite histoire des étudiants liégeois. Contribution à l’étude des traditions estudiantines, Liège, 1967, p.13)


La tenue décrite par le bibliothécaire de Liège correspond à celle des étudiants suisses et allemands (voir la carte ci-dessous).

Salutations envoyées de Luzern le 28 août 1908
"an die ganze Korona" de la société Minerva à Basel.

On voit ici un étudiant en Vollwichs, la tenue d'apparat des étudiants suisses et allemands.

Elle est consituée d'un cerevis (petit couvre-chef retenu par un élastique),
d'un sautoir aux couleurs de la société
d'un Flaus (veste à brandebourg), de gants à crispins,
de culottes blanches et de bottes.

La plupart des sociétés encore actives n'ont gardé de cette tenue que la casquette et le sautoir.