mercredi 18 avril 2012

Variations sur une Salamandre

A l'ULB

L'article précédent signalait que de nombreuses versions du rite bibitif de la Salamandre ont dû être pratiquées en Belgique (lisez le dernier paragraphe de : [Salamandre et cérémonie de l'à-fond])

Voici l'une d'elle : la Salamandre décrite dans le "Guezenliederboek" de la VUB (publié en 1967 dans le même livret que les "Fleurs du Mâle") se révèle différente de la version pratiquée en Allemagne et en Suisse. Telle qu'elle y est mentionnée, la Salamandre sert de rite de boisson mais est aussi employée comme rite d'ouverture de cantus.
Le rite se déroule comme suit :
"- Ad exercitium sanctissimi salamandris, omnes commilitones qui adsunt, surgite.
- Surgimus !
- Heffen wij het glas ter hoogte van de joewissantie van deze avond... van... van... (etc.) Waar is de brand ?
- Hier.
- Waar zijn de pompiers ?
- Hier.
- Zijn de spuiten klaar ?
- Ja.
- Spuit dan op het kommando van 1, 2, 3. Ad fundum."


Carte postale envoyée le 23 août 1899 d'Aachen.

Pour préciser qu'il s'agit du rituel de la Salamandre,
le dessinateur a représenté la bestiole en bas à droite.
Ce qu'on peut traduire par :
"Le Senior : Pour l'exercice de la très sainte Salamandre, tous les Commilitones présents, surgissez ! (ou "levez-vous !")
- L'assemblée : Nous surgissons ! (les membres se lèvent)
- Le Senior : Nous levons le verre à la jouissance de cette soirée... de... de... (etc.) Où est le feu ?
- L'assemblée : Ici.
- Le Senior : Où sont les pompiers ?
- L'assemblée : Ici.
- Le Senior : Les lances sont-elles prêtes ?
- L'assemblée : Oui.
- Le Senior : Arrosez donc au commandement de 1, 2, 3. Ad fundum !"

Le thème du "pompier", employé dans cette version de la Salamandre, revient souvent dans le folklore ulbiste de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle. Nous y reviendrons plus longuement. Mais disons déjà que si c'est un clin d'oeil évident au gosier en feu qu'il faut éteindre, c'est aussi un rappel de la pompe employée pour propulser la bière hors du fût mis en perce.

Dessin de Une du Bruxelles Universitaire de mars 1931.
Le B.U. est à cette époque la revue satirique mensuelle
de l'Assemblée générale des étudiants de l'ULB.

En bas à droite, un Macchabée, muni d'une de ces fameuses pompes à bière,
essaye d'éteindre le bûcher sur lequel repose un étudiant penné et fumeur de pipe.

En haut à gauche, un autre Macchabée, muni d'un "spuit"
ou plus exactement d'un clystère s'y attèle également.

Mais le thème du pompier se prête bien au rite de la Salamandre... La salamandre terrestre, appelée aussi "salamandre de feu", est un amphibien dont le corps noir mesure une vingtaine de centimètres et est tacheté de jaune. Elle se déplace lentement. Le martellement du verre dans le rituel étudiant fait sans doute allusion à sa démarche pataude. Et le frottement du verre pratiqué lors de la cérémonie rappelle sans doute les frottements circulaires que le petit animal doit effectuer pour se débarrasser de ses mues... Un signe d’évolution ?

Autre image forte : cet amphibien vit essentiellement la nuit (l'étudiant guindailleur aussi d'ailleurs...) Le jour, la salamandre se niche dans des bois morts. On a vu autrefois des salamandres cachées dans des bûches s’échapper de foyers de cheminée. C’est sans doute cela qui a donné naissance à la légende selon laquelle la salamandre naît dans le feu ou y séjourne. On y verra ce qu'on voudra comme symbole : de toute façon, de nombreuses hypothèses circulent sur l'origine de ce rituel étudiant.

Au grand écran

Lors de ses passages au grand écran, la Salamandre a aussi connu de nouvelles mutations. On mentionnera celle du célèbre "Student prince", film musical tourné par Richard Thorpe en 1954. Les mauvaises langues diront qu'elles préfèrent le"Student prince in Old Heidelberg", tourné par Lubitsch en 1927, qui a au moins le mérite d'être un film muet...

La Section vaudoise de l'Helvetia connaît une Salamandre similaire à celle présentée dans ce film. Lors de l'Ehrensalamander helvétienne, le président déclare : "Fiat exercitium Salamandris in honorem (...) : Salamander, Salamander, Salamander, primo, secundo, tertio, bibite, ex !". En écoutant ses paroles, les sociétaires frottent leur verre sur la table. Ils le vident au commandement de "Ex !". Ensuite, chacun tambourine avec sa chope sur la table, jusqu'à ce que le président ait bu la sienne et ait dit "Salamander ex !" (Comment de l'Helvetia vaudoise, 2009)
  
 
 
Mentionnons également les multiples Salamandre exécutées dans le film Alt Heidelberg, tourné par Ernst Marischka en 1959. Dans ce film, le Senior déclare "Silentium ! Ad exercitium Salamandris !" Au compte de trois, les confrères lèvent leur verre. L'un d'eux crie "Prost !" et chacun vide son verre. Au bout du deuxième compte de trois, les convives reposent les verres sur la table. Pendant le troisième compte jusqu'à trois, les verres sont agités sur la table. Un dernier compte de trois est effectué et les verres sont choqués sur la table au mot "trois".